bannerbannerbanner
Contes bruns
Contes bruns

Полная версия

Contes bruns

текст

0

0
Язык: Английский
Год издания: 2017
Добавлена:
Настройки чтения
Размер шрифта
Высота строк
Поля
На страницу:
3 из 4

Rosina pâlit, mais elle se leva, passa derrière nous, et rejoignit le colonel.

Tous mes camarades gardèrent un profond silence; mais moi, malheureusement, je me mis à rire après les avoir tous regardés, et mon rire se répéta de bouche en bouche.

– Tu ridi?.. dit le mari.

– Ma foi, mon camarade, lui répondisse en redevenant sérieux, j'avoue que j'ai eu tort… Je te demande mille fois pardon, et si tu n'es pas content des excuses que je te fais, je suis prêt à te rendre raison…

– Ce n'est pas toi qui as tort, c'est moi!.. reprit-il froidement.

Là-dessus, nous nous couchâmes dans la salle; et bientôt nous nous endormîmes tous d'un profond sommeil.

Le lendemain, chacun, sans éveiller son voisin, sans chercher un compagnon de voyage, se mit en route à sa fantaisie, avec cette espèce d'égoïsme qui a fait de notre déroute un des plus horribles drames de personnalité, de tristesse et d'horreur, qui jamais se soit passé sous le ciel.

Cependant, à sept ou huit cents pas de notre gîte, nous nous retrouvâmes presque tous, et nous marchâmes ensemble, comme des oies conduites en troupe par le despotisme aveugle d'un enfant: une même nécessité nous poussait.

Arrivés à un petit monticule d'où l'on pouvait encore apercevoir la ferme où nous avions passé la nuit, nous entendîmes des cris qui ressemblaient au rugissement des lions dans le désert, au mugissement des taureaux; mais non, cette clameur ne pouvait se comparer à rien de connu. Néanmoins nous distinguâmes un faible cri de femme mêlé à cette horrible et sinistre râle. Nous nous retournâmes tous, en proie à je ne sais quel sentiment de frayeur; alors nous ne vîmes plus la maison; mais un vaste bûcher. L'habitation était tout en flammes, et des tourbillons de fumée, enlevés par le vent, nous apportaient et les sons rauques et je ne sais quelle vapeur forte.

A quelques pas de nous marchait le capitaine; il venait tranquillement se joindre à notre caravane…

Nous le contemplâmes tous en silence, car nul n'osa l'interroger; mais lui, devinant notre curiosité, tourna sur sa poitrine l'index de la main droite; et, de la gauche, montrant l'incendie:

– Son'io! dit-il… Ç'est moi!..

Nous continuâmes à marcher, sans lui faire une seule observation.

– Toutes vos histoires sont épouvantables!.. dit la maîtresse du logis, et vous me causerez cette nuit des cauchemars affreux. Vous devriez bien dissiper les impressions qu'elles nous laissent en nous racontant quelque histoire gaie, ajouta-t-elle en se tournant vers un homme gros et gras, homme de beaucoup d'esprit et qui devait partir pour l'Italie, où l'appelaient des fonctions diplomatiques.

– Volontiers, répondit-il.

– Madame de… reprit-il en souriant, la femme d'un ancien ministre de la marine sous Louis XVI, se trouvait au château de… où j'avais été passer les vacances de l'année 180… Elle était encore belle, malgré trente-huit ans avoués, et en dépit des malheurs qu'elle avait essuyés pendant la révolution. Appartenant à l'une des meilleures maisons de France, elle avait été élevée dans un couvent. Ses manières, pleines de noblesse et d'affabilité, étaient empreintes d'une grâce indéfinissable. Je n'ai connu qu'à elle une certaine manière de marcher qui imprimait autant de respect qu'elle inspirait de désirs. Elle était grande, bien faite et pieuse. Il est facile d'imaginer l'effet qu'elle devait produire sur un petit garçon de treize ans: c'était alors mon âge. Sans avoir précisément peur d'elle, je la regardais avec une inquiétude désireuse et avec de vagues émotions qui ressemblaient aux tressaillemens de la crainte.

Un soir, par un de ces hasards dont il est difficile de rendre compte, sept ou huit des dames qui habitaient le château se trouvèrent seules, sur les onze heures du soir, devant un de ces feux qui ne sont ni pétillans ni éteints, mais dont la chaleur moite dispose peut-être à une causerie plus intime, en communiquant aux fibres une sorte d'épanouissement qui les béatifie.

Madame de… jeta un regard d'espion sur les hauts lambris et les vieilles tapisseries de l'immense salon. Ses grands yeux noirs tombèrent sur un coin passablement obscur où j'étais tapi derrière une duchesse aux pieds contournés: ce fut comme un regard de feu; mais elle ne me vit pas. J'étais resté coi en entendant ces dames raconter, sotto voce, des histoires auxquelles je ne comprenais rien; mais les rires de bon aloi qui terminaient chaque narration avaient piqué ma curiosité d'enfant.

A votre tour, avaient dit en choeur les châtelaines à madame de… allons, contez-nous comment…

Elle conservait peut-être une vague inquiétude de m'avoir vu jouant auprès d'elle; elle se leva, comme pour faire le tour du meuble énorme derrière lequel j'étais tapi; mais une vieille dame, plus impatiente que les autres, lui prit la main en lui disant:

– Le petit est couché, ma chère; d'ailleurs, voudriez-vous paraître plus prude que nous…

Alors la belle dame de… toussa, ses yeux se baissèrent souvent, et elle commença ainsi:

«J'étais au couvent de… et je devais en sortir au bout de trois jours pour épouser M. le comte de F… mon mari. Mon bonheur futur, envié par quelques unes de mes compagnes, donnait lieu pour la vingtième fois à des conjectures que je vous épargne, puisque d'après vos récits vous vous en êtes toutes occupées en temps et lieu.

»Trois jeunes personnes de mon âge et moi, qui ne pouvions pas faire ensemble soixante-dix ans, étions groupées devant la fenêtre d'un corridor, d'où l'on voyait ce qui se passait dans la cour du couvent. Depuis une heure environ, nos jeunes imaginations avaient cultivé le champ des suppositions d'une manière si folle et si innocente, je vous jure, qu'il nous était impossible de déterminer en quoi consistait le mariage; mes idées étaient même devenues si vagues que je ne savais plus sur quoi les fixer.

»Une soeur de trente à quarante ans, qui nous avait prises en amitié, vint à passer; c'était, autant que je me le rappelle, la fille d'un campagnard fort riche: elle avait été mise au couvent dès sa jeunesse, soit pour avantager son frère, soit à cause d'une aventure qu'elle ne racontait qu'à son honneur et gloire. Mademoiselle de Langeac, qui était plus libre qu'aucune de nous avec elle, l'arrêta et lui exposa assez [Note du transcripteur: mot illisible] ment le danger qu'il pouvait y avoir pour moi d'ignorer les conditions de la nature humaine.

La religieuse avisa dans la cour un maudit animal qui revenait du marché, et qui dans le moment, par la fierté de son allure, la puissance de développement de tout son être, formait la plus brillante définition du mariage que l'on pût donner.

Là, le groupe féminin se rapprocha, madame de… parla à voix basse, les dames chuchotèrent et tous les yeux brillèrent comme des étoiles; mais je ne pus entendre de la réponse de la religieuse que deux mots latins, employés par la belle dame, et qui étaient, je crois: Ecce homo!..

A cet aspect, reprit madame de… dont la voix remonta insensiblement au diapason doux et clair qui avait donné le ton aux juvéniles confidences de ces dames, je manquai de me trouver mal. Je pâlis en regardant mademoiselle de Fiennes que j'aimais beaucoup, et la terreur que j'ai ressentie depuis en pensant au jour où je devais monter sur l'échafaud n'est pas comparable à celle dont je fus la proie en songeant à la première nuit de mes noces. Je croyais être faite autrement que toutes les femmes. Je n'osais parler à ma mère; je regardais le comte avec un curieux effroi, sans en être plus instruite. Je ne vous dirai pas toutes les pensées martyrisantes dont je fus assaillie; l'idée d'un pareil supplice a été jusqu'à me faire rester, la veille de mon mariage, à tenir pendant environ une heure le bouton doré qui servait à ouvrir la porte de la chambre où dormait ma mère, sans pouvoir me décider à entrer, à la réveiller et à lui faire part de l'impossibilité où me mettait la nature d'être femme un jour.

»Bref! je fus menée plus morte que vive dans la chambre nuptiale…»

Ici madame de… ne put s'empêcher de sourire, et elle ajouta, non sans quelque mine de sainte ni-touche:

«Mais j'ai vu que tout ce que Dieu a fait est bien fait, et que la pauvre bécasse de religieuse avait essayé, comme Garo, de mettre des citrouilles à un chêne.»

– Monsieur, dit une jeune dame, si vos histoires gaies commencent ainsi, comment finiront-elles?..

– Oh! monsieur n'a jamais pu rien conter sans y mettre un trait un peu trop vif, et vraiment je le redoute. J'espère toujours qu'il s'est corrigé…

– Mais où est le mal?.. demanda naïvement le narrateur. Aujourd'hui vous voulez rire, et vous nous interdisez toutes les sources de la gaîté franche qui faisait les délices de nos ancêtres. Otez les tromperies de femmes, les ruses de moines, les aventures un peu breneuses de Verville et de Rabelais, où sera le rire?.. Vous avez remplacé cette poétique par celle des calembours d'Odry!.. Est-ce un progrès?.. Aujourd'hui nous n'osons plus rien!.. A peine une honnête femme permettrait-elle à son amant de lui raconter la bonne histoire du cocher de fiacre disant à une dame: Voulez-vous trinquer?… Il n'y a rien de possible avec des moeurs aussi tacitement libertines; car je trouve vos pièces de théâtre et vos romans plus gravement indécens que la crudité de Brantôme, chez lequel il n'y a ni arrière-pensée ni préméditation. Le jour où nous avons donné de la chasteté au langage, les moeurs avaient perdu la leur.

– La philanthropie a ruiné le conte!.. reprit un vieillard.

– Comment?.. dit la femme d'un peintre.

– Pour qu'un conte soit bon, il faut toujours qu'il vous fasse rire d'un malheur, répondit-il.

– Paradoxe!.. s'écria un journaliste.

– Aujourd'hui, reprit le vieillard en souriant, les sots se servent trop souvent de ce mot-là, quand ils ne peuvent pas répondre, pour qu'un homme d'esprit l'emploie.

Il y eut un moment de silence.

– Autrefois, dit le vieillard, les gens riches se faisaient enterrer dans les églises. Alors il y avait un intervalle entre l'enterrement réel et le convoi, parce que la tombe n'était pas toujours prête à recevoir le mort. Cet inconvénient avait obligé les curés de Paris à faire garder pendant un certain laps de temps les cercueils dans une chapelle où se trouvait un sépulcre postiche. C'était en quelque sorte un vestibule où les morts attendaient. Il y avait un prêtre de garde près de la chapelle mortuaire, et les familles payaient les prières de surérogation qui se disaient pendant la nuit ou pendant le jour qui s'écoulait entre l'enterrement factice et l'inhumation définitive. Excusez-moi de vous donner ces détails; mais aujourd'hui, pour beaucoup de personnes, ils sont de l'histoire…

Un pauvre prêtre, nouveau venu à Saint-Sulpice, débuta dans l'emploi de garder les morts… Un vieux maître des requêtes de l'hôtel avait été enterré la matin. Au commencement de la nuit, le prêtre de province fut installé dans la chapelle, et chargé de dire les prières à la lueur des cierges. Le voilà seul, au coin d'un pilier, dans cette grande église. Il dit un psaume, et quand le psaume est fini:

– Pan! pan!..

Il entend trois petits coups frappés faiblement.

Les oreilles lui tintent; il regarde la voûte, les dalles, les piliers… et finit par croire que ses confrères veulent lui jouer quelque tour, comme cela se fait dans les couvens pour les novices. Alors il se remet à dépêcher un autre psaume; et de verset en verset:

– Pan! pan! pan!

La prêtre répondit:

– Oui! oui! frappe!.. Je t'en casse!..

Enfin les coups diminuèrent, et ne se firent plus entendre que de loin à loin.

Vers le matin, un vieux prêtre vint relever de faction le débutant. Celui-ci lui donne le livre, la chaise, et s'en va.

– Pan! pan! pan!

– Qu'est-ce que c'est que ça?.. demanda le vieux prêtre.

– Oh! ce n'est rien, répondit le nouveau; c'est le mort qui a un tic…

– Je croirais volontiers que ce mot est vrai… dit un professeur d'histoire. Il est saturé de cet esprit rustique si précieux chez les vieux auteurs, et qui se retrouve souvent peut-être chez le paysan. Ce prêtre venait d'en-deçà la Loire… Le villageois est une nature admirable. Quand il est bête, il va de pair avec l'animal; mais quand il a des qualités, elles sont exquises; malheureusement personne ne l'observe. Il a fallu je ne sais quel hasard pour que Goldsmith ait fait le Vicaire de Vakefield. Aussi la vie campagnarde et paysanne attend un historien.

– Votre observation me rappelle, dit un ancien fonctionnaire impérial, un trait qui peut servir de preuve à votre opinion. Il donne tout-à-fait l'idée d'un homme trempé comme devait l'être le paysan du Danube.

En 1813, lors des dernières levées d'hommes dont Napoléon eut besoin, et que les préfets firent avec une rigueur qui contribua peut-être à la première chute de l'empire, le fils d'un pauvre métayer des environs d'une ville que je ne vous nommerai pas, car ce serait vous désigner le préfet, refusa de partir, et disparut.

Les premières sommations exécutées, l'on en vint aux mesures de rigueur contre le père et la mère. Enfin un matin, le préfet, ennuyé de voir cette affaire traîner en longueur, mande le père devant lui.

Le paysan vint à la préfecture; et là, le secrétaire général d'abord, puis le préfet lui-même, essayèrent par des paroles de persuasion de convertir à l'évangile impérial le père du réfractaire, et de lui arracher le secret de la retraite où son fils était caché.

Ils échouèrent contre le système de dénégation dans lesquels les paysans se renferment avec l'instinct de l'huître, qui défie ses agresseurs à l'abri de sa rude écaille. Des douceurs, le préfet et son secrétaire passèrent aux menaces, et ils se mirent très-sérieusement en colère, et rudoyèrent le pauvre homme, qui les regardait avec un grand flegme, en tortillant son chapeau à bords rabattus.

– Nous saurons bien te faire retrouver ton fils, disait le secrétaire.

– Je le voudrais bien, monseigneur, répondait le paysan.

– Il me le faut mort ou vif, s'écria le préfet, en forme de conclusion.

Là dessus le père s'en revint désolé chez lui; car il ne savait réellement pas où était son fils et se doutait bien de ce qui allait arriver.

En effet, le lendemain, il vit dès le matin, en allant aux champs, le chapeau bordé d'un gendarme qui galopait le long des haies, et que le préfet envoyait loger chez lui, jusqu'à ce que le réfractaire se fût retrouvé.

Il fallut donc chauffer, blanchir, éclairer le garnisaire et le nourrir son cheval et lui. Le paysan y mangea ses économies, vendit la croix d'or, les boucles d'oreilles, de souliers, les agrafes d'argent et les hardes de sa femme; puis un champ qu'il avait, et enfin sa maison.

Avant de vendre la maison et le morceau de terre dont elle était environnée, il y eut une horrible dispute entre la femme et le mari, celui-ci prétendait qu'elle savait où était son fils… Le gendarme fut obligé de mettre le holà, au moment où le paysan s'emporta, car il avait pris son sabot pour le jeter à la tête de sa femme.

Depuis cette soirée, le garnisaire ayant pitié de ces deux malheureux menait son cheval paître le long des chemins et dans les prés communaux. Quelques voisins se cotisèrent pour lui fournir de l'avoine et de la paille; la plupart du temps le gendarme achetait de la viande, et l'on s'entendait pour soutenir ce pauvre ménage. Le paysan avait parlé de se pendre.

Enfin, un jour qu'il fallait du bois pour cuire le dîner du gendarme, le père du réfractaire était allé dès le matin dans une forêt voisine pour ramasser des branches mortes et faire provision de bois.

A la nuit, il aperçut dans un fourré, près des habitations, une masse blanche, et ayant été voir ce que cela pouvait être, il reconnut son fils. Il était mort de faim, et avait encore entre les dents l'herbe qu'il avait essayé de manger.

Le paysan chargea son enfant sur ses épaules, et, sans le montrer à personne, sans rien dire, il le porta pendant trois lieues; il arriva à la préfecture, s'enquit où était le préfet, et, apprenant qu'il était au bal, il l'attendit; et quand celui-ci rentra, sur les deux heures du matin, il trouva le paysan à sa porte, qui lui dit:

– Vous avez voulu mon fils, monsieur le préfet, le voilà!

Il mit le cadavre contre le mur et s'enfuit.

Maintenant, lui et sa femme mendient leur pain.

– Ceci est tout bonnement sublime, reprit le médecin; mais je crois que si les actions des paysans sont si complètes, si simplement belles, c'est que, chez eux, tout est naturel et sans art; ils obéissent toujours au cri de la nature; leur ruse même, leur astuce, si célèbres et si formidables, sont un développement de l'instinct humain. Ils sont cauteleux dans les affaires, et dissimulés, comme tous les gens faibles, en présence d'un ennemi puissant; et, ne faisant pas abus de la pensée, ils la trouvent comme la foi, très-robuste dans leur ame, au moment où ils en font usage. La foi du charbonnier est un proverbe.

Ce qui m'étonne le plus en eux, ajouta-t-il, c'est leur détachement de la vie, et je ne comprends pas qu'en estimant si peu une existence si chargée de peines et de travail, ils soient si peu vindicatifs, et ne la risquent pas plus souvent, par calcul. Ils n'ont pas le temps peut-être de réfléchir ou de combiner de grandes choses.

– C'est ce qui sauve la civilisation de leurs entreprises, dit quelqu'un.

– Encore la civilisation!.. répéta le médecin d'un air comi-tragique.

– Mais, docteur, lui dis-je, je vous assure que je connais un petit pays de Touraine où les gens de la campagne font mentir vos observations. Du côté de Chinon, les naturels de notre pays sont possédés d'une fureur courte et vive qui leur donne l'énergie de se livrer à leurs passions, puis ils rentrent soudain dans cette douceur spirituelle et railleuse qui distingue le caractère tourangeau. Serait-ce que Caïn aurait peuplé les environs de Chinon, dont les habitans sont nommés Caïnones dans les cartulaires, ou faut-il attribuer ce sentiment de vengeance immédiate à la vie sauvage que mènent les habitans des campagnes? Le docteur Gall aurait bien dû venir visiter le Chinonnais, où, du reste, il y a de fort honnêtes gens. Un des avocats les plus distingués de ce pays me disait en riant que cet arrondissement devrait lui constituer une rente, parce que la plupart des procès civils et criminels étaient issus de ce pays si célébré par Rabelais. Quant à moi, j'ai vu de mes yeux un exemple frappant de cette observation, dont je ne voudrais pas cependant garantir la vérité psycologique.

Voici le fait:

– Je revenais, en 181… d'Azai à Tours par la voiture de Chinon. En prenant ma place, je vis, sur la banquette de derrière deux gendarmes, entre lesquels était un gars d'environ vingt-deux ans.

– Qu'a-t-il donc fait celui-là?.. dis-je au brigadier, croyant qu'il s'agissait de quelque délit forestier ou autre.

– Presque rien… répondit le gendarme; il s'est permis de rompre avec une barre de fer l'échine de son maître, et il l'a tué, pas plus tard qu'hier…

Là-dessus, grand silence. Je voyageais en compagnie d'un assassin. Celui-ci se tenait coi dans la carriole, regardant avec assez d'insouciance les arbres du chemin, qui fuyaient avec autant de rapidité que sa vie promise à l'échafaud. Il avait une figure douce, quoique brune et fortement colorée.

– Pourquoi donc a-t-il assommé son maître?.. dis-je au brigadier.

– Pour une misère… répondit le gendarme. En allant à la foire de Tours, son bourgeois, qui était un fort métayer, avait promis de rapporter les cadeaux d'usage à la fille de basse-cour et à ce gars-là… Pour lors, il s'agissait d'un tablier pour elle, et d'un gilet rouge pour lui. Au retour, il paraît que le fermier eut quelque motif de mécontentement contre lui. Il donna bien le tablier à la fille, mais il garda le gilet. Assoupi par la chaleur, et fatigué, vu qu'il avait fait la route sans arrêt et à cheval, il s'endormit sur le coin de sa table, dans la salle. Alors le gars prit la barre de fer, et lui en asséna un grand coup sur la nuque; le métayer a encore eu la force de se relever et de lui dire:

– Malheureux!..

Et il lui a donné un second coup, qui finalement l'a tué raide. Et après il a été se cacher dans l'écurie avec le gilet; mais il n'a pas seulement pris un liard de l'argent que son maître rapportait de Tours, et il s'est laissé empoigner sans résistance.

– Comment, lui dis-je, en me tournant vers le paysan, as-tu pu tuer un homme pour un gilet?..

– Dam!.. j'avais compté là-dessus pour aller à la danse.

Ce fut tout ce que je tirai de ce garçon… qui ne paraissait point méchant du tout. Les gendarmes ne lui avaient seulement pas lié les mains. La voiture vint à verser au-dessus de Bellon. – Mais non, elle ne versa pas. L'un des brancards s'était cassé. Nous en sortîmes tous; les gendarmes se mirent de chaque côté de ce malheureux en le laissant libre; néanmoins ils avaient l'oeil sur lui. Ce gaillard-là, voyant le conducteur s'y prendre assez mal pour relever la patache, l'aida, lia lui-même une perche pour remplacer le brancard; et quand tout fut fini:

– Ah! ça ira!.. maintenant, dit-il en achevant de serrer le dernier noeud d'une corde, et il remonta dans cette voiture qui le menait pour ainsi dire au supplice. Il fut exécuté à Tours.

– Bah! ce sang froid n'a rien de bien extraordinaire, dit un jeune homme qui était venu du salon du jeu, au milieu de ma narration, et n'avait pas assisté aux prémisses de mon argumentation. Il existe une foule d'anecdotes sur les derniers momens des criminels; et, si je vous cite à ce propos un fait de ce genre, bien autrement curieux, c'est parce que je le crois peu connu; je l'ai entendu raconter à l'auteur des Souvenirs de la Révolution. Le syndic du tribunal de Brest se nommait Vignes, et le président Vigneron. Ils furent condamnés à mort. En se trouvant sur l'échafaud, l'un d'eux, M. Vignes, dit à l'autre en lui montrant la foule:

– Hein! ils vont se trouver bien embarrassés sans vignes ni vigneron.

M. Vignes passa le premier; mais au moment où le couteau lui tranchait la tête, les deux montans de la guillotine se désunirent; enfin il se dérangea quelque chose dans l'instrument du supplice, et comme il était fort tard, l'exécuteur des hautes-oeuvres républicaines dit au président:

– Ma foi, monsieur, vous voilà sauvé; car c'est quelque chose que vingt-quatre heures par ce temps-ci.

– Il faut que tu sois un grand lâche, répondit M. Vigneron. Comment, parce que tes planches ont un peu joué, tu vas me faire attendre? Le jugement ne m'a pas condamné à vivre vingt-quatre heures de plus…

Il prit lui-même le marteau, les clous, et raccommoda la guillotine; puis, quand elle fut jugée solide, il se coucha sur la planche, et fut exécuté.

Ceci est autre chose que de mettre une perche à un brancard, et c'est du sang froid argent comptant…

– Docteur, dit une dame, vous qui devez voir beaucoup de mourans, avez-vous rencontré souvent des exemples de cette singulière tranquillité?..

– Madame, dit-il, les criminels sont ordinairement des gens doués d'une organisation très-puissante, en sorte qu'ils ont plus de chances que les malades affaiblis par de longues agonies pour dire de jolies choses. On les tue vivans, tandis que les malades meurent tués. Puis, chez certains hommes, l'ame est fortement excitée par l'attente du supplice, et ils rassemblent toutes leurs forces pour soutenir cet assaut. Il y a exaltation. Cependant j'ai vu de belles morts particulières… Pour moi, la plus belle a été celle de la femme d'un célèbre médecin allemand, auquel j'étais fort attaché. Le tableau que cette scène nous offrit est toujours vif et coloré comme au moment où j'en fus témoin.

Nous avions passé la nuit au chevet de la mourante; elle était attaquée de la poitrine, et la pulmonie, arrivée au dernier degré, ne laissait aucun espoir. Mon maître s'était endormi; sa femme, s'étant réveillée vers quatre heures du matin, me fit, de la manière la plus touchante et en souriant, un signe amical pour me dire de la laisser reposer, et cependant elle allait mourir. Elle était arrivée à une maigreur extraordinaire; mais son visage avait conservé ses traits et ses formes, qui étaient belles. Sa pâleur faisait ressembler sa peau à de la porcelaine derrière laquelle il y a une lumière. Ses yeux vifs et ses couleurs tranchaient sur ce teint plein d'une molle élégance, et il y avait dans sa physionomie une sorte de sublimité qui imposait. Elle paraissait plaindre son mari, auquel sa vie avait été vouée; mais ce sentiment prenait sa source dans une tendresse élevée, qui semblait ne plus connaître de bornes aux approches de la mort. Le silence était profond; la chambre, doucement éclairée par une lampe, avait l'aspect de toutes les chambres de malades au moment de la mort. C'était un désordre pittoresque… En ce moment, la pendule sonna, et le docteur, au désespoir d'avoir dormi, se réveilla. Je ne vis pas le geste d'impatience par lequel il peignit le regret qu'il éprouvait d'avoir perdu de vue sa femme pendant un des derniers momens qui lui étaient accordés; mais il est sûr qu'une personne autre que la mourante aurait pu s'y tromper. Ce médecin, homme d'un grand talent, avait mille de ces bizarreries apparentes qui font prendre les gens de génie pour des fous, mais dont l'explication se trouve dans la nature exquise et les exigences de leur esprit. Il vint se mettre dans un fauteuil, près du lit de sa femme, et la regarda fixement. Alors elle avança un peu la main, prit celle de son mari, la serra faiblement, et d'une voix douce, mais émue, elle lui dit:

На страницу:
3 из 4